La situation a atteint son paroxysme. Jamais l’Europe n’a connu un flux aussi massif que l’année 2016. A quelques semaines de la fin d’année, le Vieux Continent a accueilli plus d’un million et demi de migrants entre 2015 et 2016. De janvier à octobre de l’année en cours, environ 3 800 personnes ont péri ou disparu dans la mer Méditerranée. Une situation d’autant plus alarmante avec les problèmes de relocalisation des migrants déjà présents sur le sol européen. Reportage dans les rues de Paris.

►30 Minutes| Amine Lahiba

Croisée entre les allées de la Gare Saint-Lazare à Paris, Halima* est une jeune femme abattue. Ses yeux foncés n’arrivent plus à cacher son désespoir et sa détresse. Une détresse qui a poussé cette ancienne femme au foyer épanouie et sans histoire à tendre la main aux passants. Des passants qui remarquent à peine sa présence. De ses propres aveux, elle commence à faire partie des meubles de la gare. « Si on m’avait dit qu’un jour je serai ici, le ventre vide  et la main tendue, je ne l’aurais jamais cru », sanglote la jeune femme en baissant les yeux. Sa fille, jouant à proximité, ne semble pas mesurer l’urgence et la complexité de la situation.

De son périple lui faisant traverser l’Europe d’Est en Ouest, Halima ne veut plus rien retenir, car ce trajet « [la] fait voyager d’une misère à une autre », à une différence près ; à Paris il pleut des cordes, à Alep, Idlib ou encore à Raqqa le ciel largue des bombes. Préférant lutter contre le froid d’un novembre glacial, elle se bat tant bien que mal pour rester debout, avec l’espoir de regagner sa terre natale un jour.

 

Au moment d’évoquer sa famille restée en Syrie, Halima ne peut se retenir. Un déchirement qui, un an après son début de périple, continue toujours à la faire souffrir. Sans nouvelle de son mari, elle craint le pire. « Je ne sais pas s’il est vivant, ou mort. J’ignore s’il est libre ou entre les mains de la police. Je n’ai aucune information », ajoute Halima avec une voix tremblante et des yeux rivés sur son bout de carton avec lequel elle essaye d’interpeller les voyageurs.  La barrière de la langue ne l’empêche pas pour autant d’essayer de sensibiliser les passants, car le combat « est universel ».

 

Tout sauf une exception
Le cas d’Halima est loin d’être isolé. Des réfugiés sillonnant les rues des villes européennes se comptent par centaines de milliers, faute de structures d’accueil – trop chargées. Dans les pays membres de l’Union Européenne, ils seraient plus de 400 000 à vivre dehors – dans les rues, les gares, dans les camps ou encore sous les ponts.

Joint par nos services, la Fédération d’Entraide Protestante (FEP), dresse un bilan davantage préoccupant. Malgré un afflux moins important en Europe (suite à l’accord entre l’Europe et la Turquie, entre autres), la situation humaine des réfugiés dans l’Hexagone reste précaire. Selon David Hedrich, coordinateur dans l’association d’aide aux migrants « Dom’Asile », en France, « l’accompagnement des réfugiés n’est pas optimisé. Souvent ces personnes arrivent ici sans connaître un mot de notre langue, donc à ce niveau là il serait judicieux de leurs apprendre la langue ou à défaut les aider à traduire ».

Au lendemain du démantèlement des camps, notamment la jungle de Calais (Pas-de-Calais), les réfugiés ont plus que jamais besoin de solutions de relogement. Dans des conditions météorologiques toujours plus rudes, les structures d’accueil manquent de places. « La seule solution est d’ouvrir plus de structures d’accueil pour plus de places », ajoute David Hedrich.

Depuis le début des années 2000 et le conflit au Proche et au Moyen-Orient, notamment en Irak et en Afghanistan, la France et l’Europe connaissent des vagues d’arrivée relativement soutenues. Jusqu’à l’année 2014 et la montée de l’organisation terroriste « Daech ». Malgré cette hausse de demandeurs d’asile, leur nombre reste tout de même marginal en comparaison à la population totale du Vieux Continent. Il n’empêche, les solutions et les structures d’accueil sont à la peine. « Dans notre association nous avons constaté que le problème vient des mauvaises solutions, notamment les centres d’hébergement », avant de renchérir : « Dans ces centres, les demandeurs d’asile ne sont pas accompagné. Or, l’accompagnement est le premier besoin. »

La complexité du système social français complique la tâche à des personnes parfois au bord de l’illettrisme et qui peinent à comprendre la rigidité des procédures. « Si on résume, un réfugié n’a pas besoin d’un simple toit. Il a le droit à un accompagnement social, administratif et juridique. Et cela est obligatoire, puisque la France a ratifié les textes internationaux en la matière », conclut David Hedrich.

Avec des voisins qui se donnent les moyens pour accueillir massivement les migrants et leurs offrir des chances d’intégration, la France semble en retard. Alors que l’Allemagne aurait reçu plus d’un million et demi de réfugiés depuis la crise syrienne, l’Hexagone peine à rattraper le retard en s’engageant à accueillir « seulement » 30 700 personnes sur les années 2015 et 2016. Une situation alarmante qui ne bénéficie plus à personne. Surtout les enfants, qui sont toujours menacés. Selon un dernier rapport de l’UNICEF, intitulé « Déracinés », l’enfance est la première victime dans ces conflits. En souffrance et cibles des persécutions, les mineurs essayent tant bien que mal de résister aux guerres, aux déplacements forcés ainsi qu’à l’exploitation des personnes malveillantes.

 

Les mineurs menacés
Le rapport de l’UNICEF est stupéfiant. Dans sa première ligne l’ONG indique que « près de 50 millions d’enfants dans le monde ont migré […] ou ont été déplacés de force ». Et les chiffres qui suivent sont pour le moins édifiants. Outre les mineurs déplacés à l’intérieur même des frontières de leurs pays de naissance, 1 enfant sur 3 qui vit hors de son pays natal est un réfugié.

Phénomène connu depuis l’antiquité, fuir son pays est devenu aujourd’hui une normalité compte-tenu de la violence des conflits armés. Depuis le début de la guerre civile syrienne en mars 2011, 7 enfants demandeurs d’asile sur 10 viennent de Syrie, Afghanistan ou Irak. Des pays en proie à l’instabilité et l’insécurité.

Loin des chiffres et loin de la réalité des études, le constat se confirme rien que dans les rues de Paris ; toutes les personnes que nous avons rencontrées sont accompagnées par des enfants. A l’image d’Halima, qui, sa fille dans les bras, disparaît aussitôt dans une foule compacte à l’approche de la police parisienne.

*A sa demande, le prénom de notre interlocutrice a été changé.

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