L’ouverture d’une ligne maritime régulière de passagers et de marchandises reliant l’Europe au port de Zarzis au sud de la Tunisie est une demande qui remonte à plusieurs années. Cependant, l’ancien régime ainsi qu’un lobby de certaines compagnies de navigation ont empêché toute tentative d’étude ou d’ouverture de cette nouvelle ligne maritime. Suite à la révolution tunisienne de janvier 2011 et aux changements opérés dans le gouvernement, le projet est redevenu sujet de débat.
►30 Minutes|

Docteur en sciences des gestions
Fondateur associé au sein du cabinet Nearadvise
La Tunisie est un pays dont le dixième de la population vit à l’étranger (soit plus de 1 100 000 personnes). Cette population est répartie d’une manière hétérogène sur les cinq continents. Dans une étude récente du groupe Sigma Conseil*, basée sur les données fournies par L’Office des Tunisiens Résidents à l’étranger (OTRE), plus de 86% soit 950 000 Tunisiens résident sur le continent européen.
1. Le trafic prévisionnel pour les nouvelles lignes maritimes à destination de Zarzis
1.1. Trafic prévisionnel global
Sur la base des informations fournies par l’Office de la Marine Marchande et des Ports, il est possible d’estimer le trafic annuel pour les lignes Gênes Zarzis et Marseille – Zarzis. En effet, le port de la Goulette a accueilli en 2010, 714 863 passagers et 275 520 voitures dont (selon différents ministères) 45% sont originaires du sud de la Tunisie (ou se sont rendus au sud de la Tunisie). Ainsi, le trafic se répartit dans les proportions suivantes :
1.2 Trafic prévisionnel par destination
Trafic prévisionnel Gênes-Zarzis : 714 863×42%x45%= 135 109 passagers par an et 61 413 voitures. Deux tiers de ce trafic seront concentrés sur la période estivale.
Trafic prévisionnel Marseille-Zarzis : 714 863×33%x45%= 107 301 passagers par an et 54 471 voitures. Deux tiers de ce trafic seront concentrés sur la période estivale.
Ajoutons que 314 transporteurs (qui assurent un service de livraison pour les TRE originaires du sud de la Tunisie) qui assurent des livraisons hebdomadaires entre la France et la Tunisie par bateau sont disposés à opter pour la nouvelle ligne maritime à destination de Zarzis.
Soulignons que nous ne disposons que de peu d’éléments pour l’estimation de la clientèle des passagers libyens qui pourraient emprunter cette nouvelle ligne maritime. Les données collectées auprès des administrations tunisiennes et libyennes laissent penser que ce chiffre serait de l’ordre de 12 000 passagers par an.
2. Quelques recommandations
2.1. Les Tarifs à pratiquer
L’élasticité du prix demandé semble être importante. Les tarifs de départ d’Italie sont généralement 10 à 20 % inférieurs aux tarifs pratiqués par la SNCM et la CTN au départ de Marseille. Les départs de Gênes représentent près de 45% du nombre des passagers. Rappelons que les TRE en Italie ne sont que de 160 000 comparés aux 600 000 Tunisiens résidents en France. Il s’avère que plusieurs tunisiens résidents en France préfèrent partir d’Italie car les prix sont inférieurs notamment en basse saison. Ainsi, nous ne pouvons que recommander un tarif qui ne dépasse pas les 15% du tarif de la CTN au départ de Marseille et les 10% au départ de Gênes. Nous avons réalisé une grille tarifaire pour chaque liaison qui peut être exploitée par les compagnies candidates à ce projet.
2.2. Les villes de départ
Notre étude a porté principalement sur les liaisons au départ de Marseille (pour la France) et de Gênes (pour l’Italie). Ces deux villes de départ représentent en 2010 plus de 76% du trafic des passagers et voitures. Il est possible d’envisager deux autres villes de départ afin d’éviter l’encombrement des ports de Marseille et de Gênes. La ville de Savone en Italie et la ville de Toulon en France semblent être des villes portuaires moins encombrées.
2.3. La durée de la traversée et les caractéristiques du navire
La distance entre les villes Marseille-Zarzis et Gênes-Zarzis est approximativement de 750 miles nautiques. L’étude que nous avons réalisée auprès d’un échantillon de 1000 TRE montre que 80% de personnes interrogées sont prêtes à prendre le bateau si la traversée ne dépasse pas les 34 heures. Dans de telles conditions il faudra prévoir des navires avec une vitesse moyenne de 22 nœuds. Nous recommandons une nuit en mer. A titre d’exemple, imaginez un départ à 10h le samedi et arrivée le dimanche à 19h. Avec une traversée de 34 heures il faudra prévoir un maximum de cabines par rapport au nombre de passagers. Une proportion de 75% de lits disponibles nous semble être raisonnable.
Adoption du projet par la ville de Zarzis
Afin de s’assurer de l’adoption de ce projet et son soutien par la population locale nous recommandons le recrutement du personnel de restauration et de nettoyage parmi la population locale. Rappelons que le coût de cette main d’œuvre, qualifiée, est 25% à 30% inférieur au coût de la main d’œuvre européenne. Il est préférable également d’engager une compagnie locale pour les services de catering et de handling.
3. Les incitations pour ce projet
3.1. Economiques
La compagnie qui sera la première à exploiter ce service aura la possibilité de bénéficier d’un abattement allant jusqu’à 80% sur les frais d’abris et d’accostage. La compagnie bénéficiera également d’une campagne publicitaire gratuite (estimée à 100 000 €) dans les différents médias tunisiens (télé, radio, journaux, etc.). Durant les périodes de basses saisons il est possible de compenser la baisse du trafic par le transport de marchandises actuellement assuré via le port de la Goulette (une vingtaine de sociétés contactées se disent prêtes à utiliser le port de Zarzis pour l’exportation et l’importation de ses produits).
3.2. Politiques
Plusieurs personnalités politiques cautionnent la création de cette nouvelle ligne maritime. Une dizaine de membres de l’Assemblée Constituante Tunisienne, dont la vice-présidente, se disent prêts à participer à la première traversée. D’autres membres du gouvernement affichent leur soutien à ce projet. Rappelons que le gouvernement avait accordé une première autorisation pour exploiter cette nouvelle ligne en 2012 et que la compagnie en question n’a pas pu tenir ses engagements faute d’ accord avec les agences de voyage.
3.3. Sociales
Plusieurs associations ainsi que des groupes sociaux sont prêts à soutenir ce projet. Une pétition (disponible sur le site de l’association Dar Zarzis) a été signée par plus de 8000 personnes en trois mois afin de demander la mise en place d’une ligne maritime régulière au départ de Marseille ou Toulon et une autre ligne au départ de Gênes en Italie. Une rubrique « pré-réservation » sur le même site a enregistré plus de 6000 réservations en trois mois.
Soulignons enfin, que l’Association Dar Zarzis est en mesure, comme ce fut le cas pour un armateur italien en 2012 (annexe 1), d’intervenir auprès des différentes administrations tunisiennes pour obtenir l’autorisation de création de cette nouvelle ligne en vingt jours.
4. Opportunités de développement
4.1. Passagers Libyens
Plusieurs responsables libyens ont pris contact avec l’association Dar Zarzis dans le but de mettre en place une ligne maritime ente le port de Zarzis et Zwara. Il est possible d’imaginer ainsi l’extension de la ligne vers la Libye.
4.2. Marchandises vers la Libye
Des hommes d’affaires influents du sud tunisien ont également manifesté leur intérêt pour conclure des partenariats avec la nouvelle compagnie maritime qui aura en charge l’exploitation de cette nouvelle ligne maritime. Rappelons que faute de ligne régulière entre le port de Zarzis et l’Europe, une grande partie des usines est contrainte de passer par le port de la Goulette pour l’exportation et l’importation des produits. Enfin, soulignons l’engagement des responsables de la Zone d’activité de Zarzis et des différents intervenants pour garantir les meilleures conditions d’exploitation de cette nouvelle ligne maritime (garantir à l’exploitant un taux de remplissage de plus de 80% toute saisons confondues).
* Sigma Conseil, « Les tunisiens résidents à l’étranger en chiffres », 30 avril 2011.